Derrière le terme de « poussière interstellaire » se cachent les petites particules solides qui peuplent le milieu interstellaire. Si je vous affirme que cette poussière au nom bien ingrat joue un rôle fondamental dans notre univers, me croirez-vous ??
Je ne voudrais pas que vous vous laissiez abuser par cette appellation trompeuse de « poussière » : vous fourbiriez alors votre balai galactique pour débarrasser l’espace de toutes ces particules encombrantes. Ce serait une cruelle erreur, car la poussière interstellaire a une importance déterminante ! Et pour s’en persuader, penchons-nous d’un plus près sur son implication dans la chimie du milieu interstellaire.
La poussière interstellaire ne représente qu’une infime partie de la matière interstellaire, environ 1 % de sa masse, les 99 % restants étant constitués de gaz.
Les plus grosses poussières présentes dans le milieu interstellaire sont appelées gros grains. Mais attention, si ces particules sont grosses à l’échelle des autres poussières peuplant le milieu interstellaire et gigantesques à l’échelle atomique, elles ne le sont plus à l’échelle humaine ! Leur taille est en effet de l’ordre de grandeur des particules présentes dans la fumée d’une cigarette (environ 0,1µm).
Ces gros grains sont constitués de roches, principalement de silicates riches en oxygène et de carbone, mais également de métaux comme le fer et le magnésium. Ils naissent dans les enveloppes d’étoiles en fin de vie et sont ensuite injectés dans le milieu interstellaire notamment grâce au vent stellaire émanant des étoiles. Durant leur cycle de vie, les gros grains vont traverser différentes régions du milieu interstellaire aux propriétés physiques (température, densité, turbulence, etc…) très différentes. Une de ces régions va retenir notre attention : les nuages moléculaires denses.
Les nuages moléculaires denses sont des concentrations de matière où les espèces chimiques sont principalement sous forme de molécules et non sous forme d’atomes comme dans le reste du milieu interstellaire, d’où leur appellation de nuages moléculaires. Dans ce milieu, la température est très froide, de l’ordre de -240°, et la densité en hydrogène au moins 1 000 fois supérieure à ce qu’elle est dans les régions interstellaires plus diffuses. Dans ce cocon de matière, le gaz et les poussières vont être protégés des rayonnements très énergétiques et destructeurs qui parcourent le milieu interstellaire.
Dans ces environnements froids, les molécules présentes dans le gaz interstellaire et qui rencontrent un gros grain vont pouvoir se condenser à sa surface pour former un manteau de « glace ». Bien que nous associions souvent la notion de glace à celle de glace d’eau, l’eau n’est pas la seule molécule à passer de l’état gazeux à l’état solide par condensation. La glace présente à la surface des grains n’est donc pas uniquement constituée de glace d’eau : elle peut également contenir de la glace de monoxyde de carbone CO, d’ammoniac NH3 …
Ce manteau de glace va s’avérer une opportunité formidable de rencontre pour les molécules : il va permettre à des réactions chimiques difficilement réalisables en phase gazeuse de se produire à la surface des grains *. Une fois que les molécules ont été capturées par le grain, elles vont se déplacer sur sa surface gelée et rencontrer d’autres molécules elles aussi piégées sur le grain. Deux molécules vont ainsi pouvoir réagir l’une avec l’autre et donner naissance à une nouvelle espèce chimique plus complexe. Les nouvelles molécules formées pourront rejoindre la phase gazeuse du milieu interstellaire par évaporation du manteau de glace ou par destruction de celui-ci lors d’un choc avec un autre grain par exemple.
Pour mesurer l’importance de ces phénomènes, citons l’exemple du dihydrogène H2. C’est la molécule la plus abondante du gaz interstellaire, pourtant elle est impossible à former en phase gazeuse. Qu’à cela ne tienne ! En se réfugiant à la surface d’un grain, deux atomes d’hydrogène vont pouvoir se rencontrer et former une molécule H2, qui sera ensuite libérée dans le gaz interstellaire. Les grains de poussière participent donc activement à la chimie du milieu interstellaire : ils permettent à l’univers de s’enrichir en molécules.
N’oublions pas non plus que ce sont précisément ces poussières interstellaires qui vont constituer la brique fondamentale de nos futures planètes : c’est par l’agrégation successive des poussières que se formeront des corps rocheux de tailles plus importantes !!
Vous l’aurez compris : mieux vaut ne pas balayer d’un geste nerveux cette poussière-là, car elle est fort utile !!
* : En effet, dans la phase gazeuse, la température est si basse que l’agitation thermique des molécules est très faible et que les molécules ne possèdent pas toujours une énergie suffisante pour se combiner entre elles.